Interview : Thomas de Ricolfis, sous-directeur de la lutte contre la criminalité financière

Thomas de Ricolfis est contrôleur général au sein de la direction centrale de la police judiciaire, sous-directeur de la Lutte contre la Criminalité Financière (SDLCF).

La SDLCF a été créée le 1er juillet 2019, et traite, au sein de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ), de quatre grandes thématiques : la fraude fiscale, la corruption, le blanchiment de capitaux et la saisie des avoirs criminels.

Pouvez-vous présenter l’organisation, la composition et les moyens d’action de la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière ?

Thomas de Ricolfis: La SDLCF s’appuie sur des unités opérationnelles, des unités de soutien et des unités spécialisées, au niveau central et territorial.

Sur le terrain opérationnel, il s’agit de deux offices centraux : l’office central pour la répression de la grande délinquance financière - OCRGDF, essentiellement en charge de la lutte contre le blanchiment, les escroqueries, le financement du terrorisme et les avoirs criminels – et l’office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales – OCLCIFF, qui intervient dans la répression de la délinquance fiscale complexe et la lutte contre les atteintes à la probité. Chaque office comprend à peu près 80 enquêteurs.

Pour les unités de soutien, la SDLCF s’appuie sur une unité de formation spécialisée, une unité de la preuve numérique et un service de renseignement criminel en matière financière. C’est ce dernier service qui sert de point d’entrée pour travailler avec nos partenaires extérieurs, tant publics que privés.

Enfin s’agissant des unités spécialisées, la sous-direction comprend la brigade nationale d’enquêtes économiques –  la BNEE, qui repose sur une cinquantaine d’inspecteurs des finances publiques, et qui apporte son expertise fiscale et comptable aux policiers, et fait des propositions de contrôles fiscaux – et la coordination nationale des GIR (Groupes Interministériels de Recherches) – qui a pour mission de lutter contre l’économie souterraine. Les GIR sont répartis sur l’ensemble du territoire.

La coopération entre toutes ces unités est primordiale : la SDLCF est centrale mais repose sur un maillage territorial important avec des Divisions de Lutte contre la Criminalité Financière. En termes d’effectifs, cela représente au total plus de 700 personnes.

 

Qu'est-ce qui a motivé la création de cette sous-direction ? N’y avait-il pas déjà des acteurs sur ces thématiques dans la police judiciaire?

Il y avait déjà des entités de la direction centrale de la police judiciaire en charge de la lutte contre le blanchiment et la criminalité financière, mais elles étaient dans une sous-direction dont le périmètre était beaucoup plus large. Avec la création de la SDLCF en 2019, on a voulu donner plus de visibilité, plus de cohérence à la lutte contre la criminalité financière. La France est un peu précurseur en la matière, puisqu’Europol a mis en place une organisation similaire en juin 2020 (l’EFECC) et Interpol a suivi en janvier 2022. Il y a donc un mouvement assez généralisé pour une meilleure prise en compte de la criminalité financière par les instances répressives.

 

La SDLCF est en charge de quatre grandes thématiques: la fraude fiscale, la corruption, le blanchiment et la saisie des avoirs criminels. Quelle thématique représente le plus gros de vos investigations?

C’est assez équilibré, mais la thématique transversale, c’est toujours le blanchiment. Toutes les activités criminelles visent à faire des profits illicites, ce qui mène au blanchiment. Parfois il s’agit de blanchiment simple – du recel – parfois c’est plus sophistiqué, avec des circuits très complexes.

 

Avec tous les efforts déployés depuis des années dans la lutte contre le blanchiment, avez-vous l’impression que c’est quelque chose qu’on arrive à limiter, à contrôler, ou au contraire est-ce un sujet dont l’ampleur est croissante ?

C’est en tout cas un sujet qu’on connaît de mieux en mieux. Le début de la lutte contre le blanchiment, c’est les années 1990, donc aujourd’hui, on a un dispositif solide. Est-ce une pratique en déclin ? Non, je ne pense pas, mais c’est une pratique bien prise en compte, à la fois par les instances préventives et les instances répressives. La publication récente du rapport d’évaluation de la France par le GAFI le souligne.

 

Les institutions financières et les professions réglementées à la LCB-FT produisent beaucoup d'informations, de reportings, de données bancaires, d’analyse des opérations – dont bien sûr les déclarations de soupçons qui sont communiquées à Tracfin. Dans quelle mesure exploitez-vous ces informations ?

On entretient une relation étroite avec Tracfin, on a d’ailleurs deux officiers de liaison au sein de Tracfin. Cette relation interinstitutionnelle fait la force du dispositif de répression de la criminalité financière. Les données financières sont évidemment, pour nous, de la documentation pour nos investigations. Cela nous permet aussi de rester en alerte sur les nouveaux modes opératoires. Bien sûr que cette collecte d’information peut paraître comme un frein aux métiers des institutions financières, au développement économique, mais les criminels cherchent justement les produits non régulés. Donc il faut passer par cette régulation, et compter sur cette coopération entre acteurs privés, institutions préventives et institutions répressives.

 

Les mécanismes de criminalité organisée sont de plus en plus sophistiqués. Comment pouvez-vous, sur le terrain, répondre à ce défi technologique ?

C’est l’historique jeu du gendarme et du voleur. Quand la DCPJ est créée en 1907 par Clémenceau, c’est notamment pour lutter contre les criminels qui commencent à utiliser des automobiles, alors que la police est à cheval ou à vélo. Dans les années 1990, il a fallu s’adapter à l’apparition de la téléphonie mobile. Donc le défi technologique n’est pas nouveau. Aujourd’hui, les groupes criminels vont vers les cryptoactifs. On a sensibilisé, formé nos effectifs. On parvient à remonter le blockchain, à suivre les transactions. On saisit de plus en plus de wallets. On fait de l’infiltration sur internet. La France a récemment concouru à démanteler deux réseaux de téléphonie cryptés utilisé par des groupes criminels, EncroChat et SKY ECC. Tôt ou tard, il faudra avoir des investigations dans le Métavers. Donc on s’adapte systématiquement.


Avec votre vision opérationnelle, de terrain, de la criminalité financière et du blanchiment, quelle marge de progression diriez-vous qu’il nous incombe sur le plan répressif pour limiter ces pratiques ?

Des marges de progression existent toujours. On doit encore progresser sur la lutte en matière de stupéfiants. Il faut aussi mieux traquer les réseaux de collecteurs d’argent liquide. Et il faut sans doute encore mieux contrôler le cash. Des pays comme la Suède ont beaucoup progressé sur cette question. Et il y a bien sûr le défi technologique perpétuel évoqué. On n’est jamais au bout de la lutte, il faut rester modeste mais déterminé dans notre approche.

Propos recueillis le 13 juin 2022 par visioconférence.

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