Interview: Robert Ophèle - “L’AMLA doit travailler dans une ville qui lui donne les moyens de son ambition”
Robert Ophèle a été Président de l’Autorité des Marchés Financiers de 2017 à 2022. Il était auparavant sous-gouverneur de la Banque de France et Président de l’ACPR, à partir de 2012. Le 6 décembre dernier, il est nommé par le gouvernement français pour porter la candidature de la ville de Paris à l’accueil de la future Autorité Européenne de la LCB-FT, l’AMLA.
Quels sont les arguments clés qui plaident en faveur de la candidature de la capitale française à l’accueil de l’AMLA ?
Robert Ophèle: La France est très ambitieuse pour la supervision européenne de la LCB-FT. Elle a vraiment poussé pour l’adoption de ce paquet législatif, qui change la donne en matière de LCB-FT dans l’Union. Notre ambition est de passer de 27 juridictions distinctes à une approche européenne unie. Cette approche me semble incontournable dans un espace de liberté de mouvement de capitaux et de libre prestation de services tel que l’UE. Or, aujourd’hui le paysage réglementaire est très différent selon les pays, et certains d’entre eux sont inefficaces.
Cette nouvelle autorité est donc un élément clé pour la LCB-FT : il faut qu’elle réussisse les missions qui vont lui être confiées, et pour cela la question de son implantation est primordiale. L’AMLA doit travailler dans une ville qui lui donne les moyens de son ambition et Paris en fait partie.
D’abord, il faut fournir à l’AMLA les personnes, nombreuses et qualifiées, qui vont y travailler. Il faut bien sûr pouvoir accueillir les familles de ces personnes : l’attractivité de la ville est donc capitale. Il faut un cadre de vie agréable, une capacité pour les conjoints d’avoir une activité professionnelle, des écoles de qualité – Paris dispose d’une offre étendue d’écoles internationales ou Européennes – des infrastructures.
En outre, un certain nombre de postes devraient être transférés de l’EBA vers l’AMLA. La localisation de l’AMLA à Paris, qui accueille l’EBA, faciliterait donc ce transfert de compétence.
L’AMLA va également interagir avec de nombreux interlocuteurs : les CRF et les superviseurs nationaux, les assujettis, bien entendu, mais également une gamme très large de parties prenantes de l’Union – Commission, Europol, Parquet Européen… – et au-delà. La LCB-FT n’est pas une affaire locale, les interactions avec le reste du monde et les institutions internationales sont décisives. D’ailleurs, l’acteur international de référence, le GAFI, est localisé à Paris. Si l’on veut une approche unique de l’Union pour la LCB-FT, il faut donc une localisation centrale facilitant toutes ces interactions.
Par ailleurs, la crédibilité de l’AMLA tiendra aussi au fait qu’elle soit installée dans un pays qui dispose d’une maturité en LCB-FT. Il est clair que Paris et la France font partie des meilleurs élèves de l’Union en la matière.
Enfin, aujourd’hui, lorsqu’on installe une nouvelle entité de l’Union, il faut avoir en tête l’empreinte carbone qui y sera associée. Cela implique de disposer de locaux disponibles, modulables et de qualité, ce que nous avons d’ores et déjà à Paris. Mais il faut également intégrer les déplacements du personnel. Les transports en commun à Paris sont extrêmement développés, et l’accessibilité en train est une des meilleures, notamment depuis Amsterdam, La Haye (qui héberge Europol), Bruxelles (la Commission, le Parlement Européen), Strasbourg (le Parlement Européen et Moneyval), Cologne (la CRF allemande), Francfort (la BCE)… et bien sûr Londres, qui restera un interlocuteur majeur pour ce sujet.
Pouvez-vous en dire plus sur les différentes étapes de candidature et de sélection de la ville hôte par l’Union Européenne ? À quelle échéance pouvons-nous espérer une annonce ?
Pour le moment, le paquet reste en discussion au niveau du Parlement. Deux éléments me semblent toutefois compliquer les discussions. D’abord, la décision de la CJUE du 22 novembre 2022, qui a considéré que l’accès au registre des bénéficiaires effectifs ne pouvait plus se faire comme la Directive l’avait prévu. Ce dossier va donc devoir être retravaillé. Ensuite, une autre décision de la CJUE du 14 juillet 2022 suite à la contestation par l’Italie de l’implantation de l’Agence Européenne du Médicament à Amsterdam. A cette occasion, la CJUE a clarifié la nature du choix de la localisation d’une agence de l’UE : l’implantation d’une agence créée par Règlement relève des co-législateurs comme les autres dispositions du Règlement. Le Parlement Européen doit donc déterminer la manière dont il souhaite être associé au choix de la localisation de l’AMLA. C’est un débat complexe et le calendrier de désignation n’est pas clair à ce stade.
Avons-nous déjà un ordre d’idée du nombre de postes qui seront créés ?
La proposition de la Commission portait sur 250 postes. Cela semble un minimum et in fine cela va dépendre du périmètre d’établissements sous supervision directe de l’AMLA, et bien sûr du financement alloué.
Justement, le périmètre de supervision semble être dans un premier temps limité au contrôle des grands groupes systémiques européens. Seriez-vous favorable à une extension, à terme, de ce périmètre à des entités de taille plus modeste ?
Le premier élément à garder en tête est que, si bien sûr les banques constitueront l’essentiel de la supervision directe de l’AMLA, les risques en matière de LCB-FT peuvent être beaucoup plus larges. Le système bancaire est en première ligne, mais il faut aller au-delà, notamment dans le monde de l’assurance – cela a d’ailleurs été développé de façon très rigoureuse en France. La BCE utilise un seuil de taille de bilan pour déterminer les établissements bancaires sous sa supervision directe. Ce critère ne me paraît pas pertinent pour le sujet de la LCB-FT. De petits établissements – je pense aux établissements de paiement – peuvent aussi être très exposés.
L’Autorité devra elle-même procéder à cet exercice : déterminer son périmètre de supervision, ses procédés d’évaluations et les critères associés, etc. Il peut paraitre par ailleurs souhaitable que cela inclut au moins un établissement de chaque pays de l’Union.
Qu’en est-il des cryptoactifs ?
Il faut bien sûr les intégrer à cette supervision. Les différents paquets sur MICA, la Travel Rule, et la création de l’AMLA doivent constituer un ensemble cohérent et ambitieux d’encadrement des PSAN. La France a été un des premiers pays à introduire des procédés d’enregistrement, qui incluent des exigences en matière d’antiblanchiment. L’AMLA doit poursuivre et étendre cet encadrement.
Les montants des sanctions pour infraction à la règlementation LCB-FT apparaissent parfois modestes au regard ce celles infligées par le régulateur américain. La création de l’AMLA pourrait-elle aller de pair avec un renforcement de la sévérité du contrôle LCB-FT en Europe ?
L’ampleur des sanctions est toujours un élément décisif dans les moyens que l’on se donne. La difficulté c’est qu’elles ne sont aujourd’hui pas homogénéisées au niveau Européen. Les sanctions européennes sont prévues dans des textes très normés qui ne permettent pas de flexibilité et de prise en compte des spécificités de chaque cas. Elles semblent donc souvent inadaptées.
Sur le fond, avoir des sanctions très significatives est un élément très important pour sensibiliser les établissements. Cela dit, au-delà du montant de la sanction, le risque de réputation associé à chaque décision demeure important pour les établissements.
Enfin, il se dit que vous pourriez prochainement assurer la direction de l’Autorité des Normes Comptables, une fonction pas totalement sans lien avec la LCB-FT ?
J’ai été auditionné par les commissions des Finances parlementaires mercredi 25, et le vote a été largement positif. Ma nomination devrait donc être officialisée très rapidement. Les préoccupations de l’ANC peuvent en effet être en lien avec la réglementation LCB-FT. Mais je mènerai de manière parallèle ces deux missions, en souhaitant évidemment un succès pour l’AMLA et la ville de Paris.