Obligations LCB-FT et prévention de la fraude : la Cour de cassation clarifie les responsabilités
BLL est expert en conformité réglementaire et AML officer au sein d’un cabinet de conseil spécialisé en Sécurité Financière. Il a travaillé en coopération avec établissements financiers internationaux.
Le 21 septembre dernier, la Cour de cassation a rendu sa décision portant sur le pourvoi n°20-22.828. Une décision sans fracas, noyée dans le flot de textes juridiques de la cour, épargnée des commentaires médiatiques. Il s’agit pourtant d’une décision loin d’être anecdotique pour nous autres professionnels de la Compliance et de la Sécurité Financière, puisqu’elle s’intéresse aux obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers par la règlementation LCB-FT qui nous est si chère.
Repartons du début : En septembre 2013, une petite société du Sud-Ouest constate des virements frauduleux réalisés sur ses comptes entre l’été 2012 et l’été 2013. La comptable de l’entreprise est rapidement incriminée : elle aurait viré plus de 80.000 euros des comptes de la société, tenus par la BRED, vers divers comptes de sa famille, tenus par le Crédit Agricole. La société escroquée, estimant que les deux banques en question n’ont pas procédé à des contrôles permettant de prévenir ces virements frauduleux, décide alors de les assigner en indemnisation début 2016. Elle reproche en particulier au Crédit Agricole d’avoir manqué à ses obligations de surveillance des comptes bancaires et de vigilance relatives aux risques de BC-FT – qui auraient pu mener à l’identification d’opérations frauduleuses.
L’affaire suit son cours et aboutit à une décision du tribunal de commerce de Bordeaux qui donne raison à la société escroquée, puis à un arrêt de la cour d’appel rendu le 13 octobre 2020, qui lui donne finalement tort, préservant ainsi le Crédit Agricole et la BRED de toute procédure d’indemnisation. La décision de la cour d’appel étant à nouveau attaquée, il revenait donc à la Cour de cassation de se prononcer en dernier recours – avec la perspective de faire jurisprudence, le fond du problème étant alors « les obligations de vigilance constante et d’examen attentif des opérations en cohérence avec la connaissance de la clientèle doivent-elles conduire à prévenir et protéger son client en cas de risque d’escroquerie » ?
Derrière cette affaire bien particulière se cache en fait un sujet récurrent : ces dernières années, et plus encore depuis la multiplication des tentatives d’escroqueries par internent, de campagnes de phishing et d’arnaques aux faux investissements en bitcoins, de nombreuses victimes sollicitent des avocats pour obtenir réparation. Ces avocats se retournent alors vers les banques de leurs clients et tentent d’obtenir une indemnisation, arguant que ces établissements bancaires n’ont pas su protéger leur client. Les obligations LCB-FT sont bien souvent mentionnées : les articles du code monétaire et financier sont cités pêle-mêle pour rappeler les obligations d’identification d’opérations aux montants inhabituels, le devoir de vigilance à l’égard d’entrée d’argent injustifiée ou encore la nécessité de renseignement sur l’origine des fonds… Dans ces situations, la règlementation LCB-FT n’est plus utilisée pour lutter effectivement contre un risque de blanchiment, mais pour prévenir des opérations frauduleuses.
La règlementation antiblanchiment : contre le blanchiment et rien que le blanchiment
C’est justement ce dernier point qui est repris par la Cour, qui rappelle dans la motivation de sa décision que « les obligations de vigilance et de déclaration […] ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ». En outre, l’émission d’une déclaration de soupçon, le cas échéant, est confidentielle et ne peut être divulguée au client ou à un tiers.
En rejetant ce pourvoi, la Cour de cassation confirme donc qu’une banque n’est pas tenue de signaler les opérations douteuses qu’elle serait susceptible d’identifier sur le compte d’un de ses clients. Elle peut le faire, via un dispositif spécifique de lutte contre la fraude – ce qui existe souvent pour les portefeuilles de grande clientèle ou de gestion privée. Mais elle n’est pas tenue de le faire, et certainement pas en vertu de la règlementation LCB-FT. Surtout, elle n’a pas le droit de révéler l’existence ou le contenu d’une déclaration de soupçon. Et c’est tout un pan de la défense des avocats contre les escroqueries financières qui s’effondre. Un coup porté contre la lutte contre la fraude ? Ou un recentrage des obligations LCB-FT vers son rôle initial, pour plus de cohérence et d’efficacité ? Il faudra certainement quelques années de recul pour le savoir, mais dans cette attente, c’est bien la position de la Cour qui fera référence.
BLL