Vers une régulation européenne de la LCB-FT

Le 7 mai 2020, la Commission Européenne a publié son plan d'action pour une politique globale de l'Union en matière de prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme. Nous l’avions précédemment évoqué, ce plan d’action devrait mener à la création d’une autorité européenne consacrée à la LCB-FT. C’est une bonne chose à plusieurs niveaux : d’abord, c’est le prolongement logique du projet européen et de la prise en compte de plus en plus de facteurs dans son cadre réglementaire. Ensuite, c’est un signal positif à l’égard du secteur financier, qui y trouvera certainement une plus grande harmonisation des pratiques de régulation de la LCB-FT. Enfin, c’est une perspective bénéfique pour la LCB-FT elle-même, puisque cette nouvelle autorité pourra approfondir les exigences en la matière, et rivaliser avec les autres grands régulateurs, en particulier américains.

​Mais cela soulève aussi de nombreuses questions auxquelles la Commission Européenne devra répondre. Et à bien des égards, ce nouvel acteur européen devra prendre position.

​Une nouvelle autorité, une initiative louable aux problématiques nombreuses

L’idée d’une autorité dédiée à la LCB-FT unique dans l’UE n’est pas fondamentalement nouvelle. Au contraire, on aurait pu penser qu’avec le Mécanisme de Supervision Unique (MSU ou SSM en anglais) adopté en 2014, la BCE allait rapidement s’engager dans une supervision de la LCB-FT. Or, six ans plus tard, non seulement la LCB-FT ne fait toujours pas l’objet d’une supervision harmonisée au sein de la zone euro, mais elle est en plus éclatée entre de nombreux acteurs nationaux, aux pratiques et périmètres parfois divers. Pour un établissement financier présent dans plusieurs pays, les différentes exigences sont complexes.

Avec l’intensification des exigences communautaires en matière de LCB-FT, la suite logique était bien de mettre un place régulateur unique. Le mandat de l’Autorité Bancaire Européenne (ABE) avait également été renforcé en ce sens.

Dès lors, de nombreuses questions opérationnelles se posent quant à la création de cette nouvelle autorité. D’abord, de quel acteur doit-il s’agir ? Seules trois pistes apparaissent crédibles : (1) la BCE elle-même, (2) l’ABE, ou (3) une nouvelle institution dédiée et créée pour l’occasion. Il y a une certaine logique à ce que la BCE étende encore ses prérogatives, ou à ce que l’ABE quitte encore davantage sa dimension consultative pour en faire une autorité de plein exercice. La Commission n’a manifestement pas encore tranché, mais semble préparer le terrain à un transfert de ces compétences à l’ABE, qui s'est déjà positionnée en ce sens. Cela constituerai en tout cas une bonne nouvelle pour Paris, puisque cette nouvelle autorité créerait certainement de nombreux emplois.

Se pose également la question du calendrier. Le plan d’action se veut cette fois beaucoup plus directif : le premier trimestre 2021 est annoncé… ce qui paraît déjà compromis à la date de publication de ce billet. Covid-19 oblige, il faudra sans doute miser sur 2022 pour voir cette autorité prendre forme. Dans tous les cas, il n’est pas question que cela traîne, ce qui est notable pour une décision administrative de cette ampleur.

Enfin, il convient de s’interroger sur la portée de cette nouvelle autorité : si la Commission semble vouloir ratisser large (« la mise en œuvre effective du cadre de l’UE existant », « mettre en place un corpus réglementaire renforcé », « instaurer une surveillance européenne »), il faudra nécessairement que les effectifs suivent, et que les échanges avec les autres institutions soient effectifs. La seule question de la transition entre les acteurs actuels et cette nouvelle autorité donne le vertige : on ne peut évidemment pas se permettre une année blanche en matière de LCB-FT.

​Les enjeux à long terme

​Au-delà des considérations opérationnelles, cette nouvelle autorité aura fort à faire pour se montrer efficace et crédible. Les objectifs sont nombreux et ambitieux. En admettant que cette nouvelle autorité se mette en place rapidement, et qu'elle puisse s'appuyer sur un corpus réglementaire harmonisé au sein de l'UE, son principal défi sera de réussir à collaborer avec les autres régulateurs bancaires, en premier lieu desquels la BCE. En effet, pour les grands établissements, les Joint Supervisory Teams (JST) disposent aujourd'hui d'informations essentielles concernant le pilotage des risques des établissements financiers. Cela vaut pour la LCB-FT: les JST évaluent les fonctions Conformité, Risques, Sécurité Financière des banques. Elles ont une vision claire de la gouvernance en vigueur au sein des établissements financiers, mais aussi des reportings et des risques opérationnels. Il s'agit là de données capitales pour assurer un encadrement efficace de la LCB-FT.

Le constat est le même pour les petits établissements: les superviseurs locaux disposent d'une bonne connaissance sur les enjeux des établissements spécialisés ou des petits acteurs financiers. La nouvelle autorité européenne dédiée à la LCB-FT devra donc travailler de manière complémentaire avec ces différents acteurs, tout en conservant l'indépendance que sa fonction exige.

Cette coopération devra d'ailleurs s'étendre aux autres entités directement impliquées dans la LCB-FT, en particulier les services de renseignement et les ministères de l’économie. Mais encore, elle devra s'assurer de garder un contact direct avec les établissements financiers, notamment par des interventions en leur sein. Si la BCE peut se permettre de concilier centralisation de ses travaux à Francfort et inspections sur place, c'est aussi parce qu'elle s'appuie sur les nombreuses ressources fournies par les régulateurs nationaux. Qu'en sera-t-il pour cette nouvelle institution?

Ce régulateur européen devra enfin déterminer les sanctions liées à la LCB-FT, de manière indépendante et uniformisée entre les états de l'Union. Là-encore, au-delà de l'organisation opérationnelle et juridique que cela appelle, la question des sanctions et la dimension politique qu'elles portent en fait un sujet sensible qu'il conviendra d'assumer en coopération avec les états.

 

En somme, si la Commission Européenne a envoyé un signal favorable en publiant un plan d'action et une feuille de route précise, le doute persiste encore quant à la création effective de cette nouvelle autorité, et sa capacité à assurer une fonction de régulation efficace à terme. Nul doute que de nouvelles communications arriveront prochainement pour détailler davantage la stratégie à mettre en place.

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