Plateformes de cryptoactifs en France : état des lieux des enregistrements et des radiations
Depuis leur ouverture au grand public ces dix dernières années, les cryptoactifs sont accusés de favoriser les escroqueries, les transactions criminelles voire le financement de groupes et d’actions terroristes. Les risques de LCB-FT associés aux cryptoactifs et leur encadrement a largement été discuté, notamment dans nos colonnes au travers de deux interviews publiées en 2021 et en 2022 (portant respectivement sur les enjeux de la conformité pour une plateforme française, et sur la position de l’eurodéputée Aurore Lalucq en faveur d’un accroissement de la règlementation du secteur).
Afin d’accompagner l’essor des cryptoactifs et d’encadrer les différentes plateformes, la règlementation française s’est progressivement structurée et propose aujourd’hui deux régimes: l’enregistrement et l’agrément. Pour y voir plus clair, nous vous proposons un tour d’horizon de ces deux régimes et de l’évolution du paysage français des sociétés de cryptoactifs.
Enregistrement et agrément : deux régimes voués à être unifiés par la règlementation européenne
Un acteur peut être considéré comme un Prestataire de Services sur Actifs Numériques (PSAN) s’il fournit au moins un des services définis par l’article L.54-10-2 du code monétaire et financier : cela concerne notamment l’achat, la vente et la conservation d’actifs numériques pour le compte d’un client, l’échange entre plusieurs actifs numériques, les services d’investissements et de gestion de portefeuilles d’actifs numériques.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi PACTE en mai 2019, les PSAN doivent être enregistrés par l’Autorité des marchés financiers (AMF) sur avis conforme de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Ce cadre réglementaire vise à renforcer la transparence et la sécurité des transactions en actifs numériques en France.
L’enregistrement, obligatoire pour exercer, implique l’identification des dirigeants et des actionnaires du PSAN, mais aussi la description des dispositifs en vigueur en matière de protection de l’information et de LCB-FT. Les PSAN doivent donc avoir démontré leur capacité à collecter des informations de connaissance de la clientèle, à surveiller leurs opérations, et à respecter leurs obligations déclaratives et de mise en œuvre des mesures de gel. L’enregistrement des PSAN constitue une garantie s’agissant de la protection des consommateurs et du système économique et financier. Les plateformes non enregistrées n’ont pas le droit d’exercer leurs activités en France et s’exposent à des poursuites. À contrario, plusieurs PSAN utilisent leur enregistrement comme un argument commercial pour rassurer leurs clients – une approche un peu douteuse puisque cet enregistrement est obligatoire.
L’agrément est un régime complémentaire facultatif, également accordé par l’AMF après le dépôt d’un dossier et qui souligne le respect d’exigences relatives à l’organisation et à la conduite de l’activité des PSAN concernés, notamment en matière de cybersécurité. L’agrément est donc une démarche plus lourde que l’enregistrement, mais peut constituer un facteur différenciant valorisant un dispositif renforcé.
Ces deux régimes spécifiques au territoire français sont voués à disparaître : la règlementation européenne, au travers du règlement MiCA, souhaite créer un régime obligatoire unique afin d’harmoniser les exigences européennes. Dans l’attente de l’entrée en vigueur de MiCA, l’enregistrement auprès de l’AMF a récemment vu ses exigences se renforcer.
107 plateformes enregistrées, une seule ayant obtenu un agrément… et six déjà radiées
Alors après cinq ans de règlementation sur l’usage des cryptoactifs, quel est le bilan de ces deux régimes ? Un résultat manifestement en demi-teinte. Côté pile, une centaine de PSAN se sont enregistrés auprès de l’AMF ces dernières années, constituant une vaste liste de plateformes à priori fiables et jouant le jeu de la lutte contre la criminalité financière. Une clarification bienvenue dans ce qui était jusqu’à récemment une jungle pour les consommateurs. Côté face, un seul établissement a obtenu un agrément de l’AMF et six ont déjà été radiés. La majeure partie des PSAN radiés le sont pour cessation d’activité, mais l’un d’entre eux a été radié en raison de défaillances identifiées lors d’un contrôle de l’ACPR. L’ACPR a publié une note bilan sur l’enregistrement des PSAN - dans laquelle on apprend notamment que plusieurs dirigeants se sont vus contraints de suivre une formation en LCB-FT -, mais s’est montrée plutôt réservée dans la communication d’informations sur l’état des dispositifs LCB-FT des PSAN soumises à son contrôle. Par ailleurs, la Cour des Comptes publiait il y a quelques mois un rapport assez critique sur l’encadrement des cryptos, plaidant pour une règlementation plus ambitieuse.
Plus largement, le régulateur n’est pas parvenu à endiguer l’activité des plateformes étrangères non enregistrées, malgré une communication accrue autour des listes noires des sociétés non enregistrées, censées dissuader les consommateurs d’interagir avec des plateformes non autorisées. Au-delà même des plateformes non enregistrées, les arnaques aux cryptoactifs et les escroqueries aux faux investissements sont toujours très nombreuses.
En attendant le renforcement et l’harmonisation de la règlementation européenne, les régimes d’enregistrement et d’agrément ont donc contribué à structurer un secteur en plein essor et aux risques nombreux pour le système économique et pour les consommateurs. Il reste toutefois encore du chemin pour faire des cryptoactifs un produit sûr et peu risqué en matière de criminalité financière – début 2023, le Conseil d’Orientation de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme a d’ailleurs révisé à la hausse le risque de BC-FT associé aux cryptos.