Fintechs, nouveaux acteurs et enjeux LCB-FT

Le 22 décembre 2020, la commission des sanctions de l’ACPR rendait publique sa décision d’infliger un blâme assorti d’une sanction pécuniaire à la société Mangopay, plus connue sous son ancien nom Leetchi Corp. SA. Cette décision suit notamment une autre décision rendue en 2020 infligeant un blâme et une sanction à l’établissement de paiement Only Payment Services. Quelques mois plus tôt, un autre blâme et une sanction d’un million d’euros étaient infligés à Prepaid Financial Services, un Etablissement de Monnaie Electronique (EME). Encore deux mois auparavant, c’était Transaction Services International, un autre EME, qui se voyait infligé un blâme. Toutes ces décisions portent sur des défaillances en matière de vigilance LCB-FT.

​Il n’est d’ailleurs pas davantage nécessaire de remonter dans les archives des décisions de la commission des sanctions de l’ACPR pour comprendre qu’elles concernent de plus en plus des établissements de services financiers spécialisés, hébergeurs de cagnottes en ligne, outils de transferts d’argent et autres distributeurs de cartes prépayées. De nombreuses activités financières que l’on retrouve dans le terme un peu fourre-tout de « fintech ». Ces condamnations ne sont d’ailleurs pas exclusives à l’ACPR, les condamnations de fintechs par des régulateurs européens se multipliant depuis quelques années.

​Ces sociétés ont la plupart du temps deux points communs : d’abord, celui d’être des acteurs relativement récents des activités financières – tous les établissements cités ci-dessus ont été agréés après 2010. Ensuite, celui de bouleverser le paysage bancaire et financier conventionnel, portant avec elles des risques nouveaux pour la LCB-FT.

​De nouveaux acteurs aux responsabilités LCB-FT conséquentes

​Ces dix dernières années, les fintechs sont devenues de plus en plus nombreuses et sont rentrées dans le quotidien des particuliers. Il est aujourd’hui courant de procéder à des paiements par mobile en utilisant Lydia (créée en 2011), de participer à des collectes de fonds sur Le Pot Commun (fondée en 2011 également), de régler ses repas avec une carte Swile (anciennement Lunchr, créée en 2016), voire de transférer de l’argent à l’étranger en ayant recours à TransferWise (toujours 2011). Les activités proposées par ces fintechs se sont développées massivement en très peu de temps : Mangopay a ainsi vu son volume de transaction multiplié par 25 en cinq ans (pour plus de 2 milliards d’euros traités en 2018).

​Ces entreprises, et les services, plateformes et outils qu’elles proposent, sont assurément très pratiques pour le consommateur, et déstabilisent un environnement financier qui était peut-être trop institutionnalisé autour de grands acteurs internationaux.

​Mais ces fintechs portent aussi de nouveaux risques en matière de LCB-FT. Dans son analyse nationale des risques de BC-FT 2019, le Conseil d’Orientation de la LCB-FT (COLB) y a d’ailleurs consacré un chapitre entier (Chapitre 7 : « innovations financières »). Deux grands risques sont en effet relevés : celui du financement d’entreprises terroristes par le biais du financement participatif, et celui du blanchiment en utilisant des monnaies virtuelles (y compris via des cartes prépayées).

​Dans le paysage politique français, ces risques ont aussi été soulevés par le rapport d’information parlementaire sur la lutte contre le financement du terrorisme international, publié le 3 avril 2019 et faisant suite à une mission d’information constituée à la suite des attentats de 2015. L’analyse des financements du terrorisme international a conduit à identifier certaines plateformes de cagnottes en ligne et solutions proposées par des fintechs comme ayant permis le développement d’un terrorisme « low cost ». « Les nouveaux produits financiers suscitent des risques dans la mesure où ils permettent d’opacifier les transactions », souligne ainsi le rapport. Cette opacité, c’est le revers de la médaille de la multiplication des services financiers, ainsi que de la rapidité et la facilité avec lesquelles on peut maintenant les utiliser.

​L’encadrement de ces fintechs se voit toutefois rapidement renforcé : d’une part parce que l’arsenal réglementaire s’adapte à ces nouveaux services (le rapport parlementaire recommandait par exemple d’assujettir les sites de cagnottes en ligne aux obligations de vigilance LCB-FT), et d’autre part parce que nombre de ces fintechs ont été acquises par des grands groupes bancaires, permettant un renforcement significatif des dispositifs LCB-FT en place. Leetchi fait par exemple partie du Crédit Mutuel Arkéa depuis 2015, Le Pot Commun appartient au Groupe BPCE depuis la même année, Treezor (Lydia) a été acquis par la Société Générale en 2018.

Des fintechs qui bouleversent également les obligations des banques traditionnelles

​Au-delà des obligations LCB-FT portant spécifiquement sur les fintechs, ces nouveaux services financiers font également porter un risque sur les banques traditionnelles. En effet, ces dernières sont responsables de l’analyse des flux de leurs clients et se doivent de maintenir une connaissance pertinente de leur clientèle. Or, l’opacité des transactions permises par les fintechs complexifie les analyses des opérations effectuées par les banques.

​Apprécier la pertinence économique de flux issus de cagnottes en ligne, adapter son dispositif de surveillance des opérations pour intégrer des crypto-actifs ou couvrir les risques portés par les cartes prépayées représente un défi conséquent pour les dispositifs LCB-FT en vigueur dans les banques.

​En outre, certaines fintechs se situent encore dans une sorte de zone grise réglementaire, leur activité étant trop récente pour être pleinement encadrée par la réglementation, même si, nous l’avons vu, les condamnations des fintechs pour défaut de conformité LCB-FT se multiplient. Dans les faits, la surveillance des opérations les impliquant repose parfois sur la responsabilité unique des banques.

​Par exemple, la société de transfert d’argent TransferWise permet l’échange de devises entre particuliers, et revendique plus de quatre millions de clients pour près de quatre milliards d’euros de transferts mensuels. TransferWise sert d’intermédiaire entre tous ses clients pour redistribuer les montants transférés en utilisant ses propres stocks de devises, eux-mêmes alimentés par les transferts des autres utilisateurs.

En matière de LCB-FT, les conséquences sont importantes pour les banques des utilisateurs de TransferWise. En effet, le dispositif de surveillance des opérations de la banque d’un client de TransferWise pourra voir sur le compte de son client un transfert entrant d’un montant potentiellement conséquent, envoyé par TransferWise, sans avoir d’information sur le pourvoyeur de fonds, l’origine et la pertinence économique de cet argent. Si un client a recours à plusieurs transferts, venant de différentes personnes, en utilisant TransferWise, sa banque rencontrera des difficultés à identifier toutes les personnes impliquées. Pour autant, réglementairement, la banque demeure responsable de la connaissance de sa clientèle et des contrôles LCB-FT associés. Par conséquent, c’est bien la banque qui doit s’interroger à chaque fois sur la justification de l’opération, au regard de son montant, sa fréquence, et le comportement habituel du client.

​On le comprend aisément : le développement d’un service comme TransferWise implique une inflation conséquente des contrôles et analyses pour les banques, et donc des effectifs et des coûts dédiés à la LCB-FT. In fine, cette inflation s’applique également pour les Cellules de Renseignement Financier comme Tracfin.

Il convient néanmoins d’être confiant quant à l’implication de ces nouveaux services financiers dans le dispositif LCB-FT : l’innovation est toujours plus rapide que le droit, mais les fintechs commencent à prendre conscience de leurs obligations, ou a minima de leur responsabilité. L’environnement réglementaire de la LCB-FT se complexifie, mais il s’intensifie également, et la coopération croissante entre établissements, états et régulateurs est en ce sens positive.

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