Bilan d'une décennie de LCB-FT

BLL est expert en conformité réglementaire et AML officer au sein d’un cabinet de conseil spécialisé en Sécurité Financière. Il a travaillé en coopération avec plusieurs établissements financiers d’envergure internationale.

Si l'on considère que le changement de décennie s'effectue après l'an zéro, alors nous pouvons célébrer le passage aux années 2020. C'est l'occasion de dresser un bilan d'une décennie 2010 riche en actualité pour la LCB-FT, qui s'y est considérablement développée à tous les égards. C'est également la possibilité de s'interroger sur les changements à venir. C'est assurément l'opportunité idéale pour débuter la publication de billets sur ce blog, le sujet étant accessible à tous.

​Regardons brièvement dans le rétroviseur, pour mieux nous projeter dans les années à venir.

Les années 2010, berceau de la LCB-FT?

​Le titre de ce paragraphe peut prêter à sourire. Lorsque l’on regarde l’essor de la LCB-FT, il est pourtant difficile de ne pas voir en la décennie 2010 sa période de développement la plus intense. La LCB-FT est donc si jeune que ça ? Peut-être pas, mais son âge de maturité n’est certainement pas antérieur à 2010.

​L’Etat français a introduit la notion de blanchiment d’argent en 1987. L’expression « blanchiment » est d’ailleurs récente, vraisemblablement à la suite du scandale du Watergate dans les années 70. Le GAFI est créé en 1989. La première directive européenne suit, en 1991. Les dispositions réglementaires sont vagues, au champ d’application très limité, et les notions associées à la LCB-FT restent cantonnées au langage juridique. Dans les archives du Monde, on retrouve néanmoins la première trace du terme « blanchiment » dès 1989. Pour « financement du terrorisme », il faudra attendre 1996. Et l’arsenal législatif ne se renforcera – de manière limitée – qu’à la décennie suivante, lors de la publication de la deuxième directive européenne, en 2001.

À l’inverse, les années 2010 se concluent de manière spectaculaire : dans la presse, le scandale des FinCEN fait définitivement entrer les termes de « lutte contre le blanchiment » dans le langage courant, tandis que la 5ème directive européenne est entrée en vigueur en 2020.

Les scandales de blanchiment d'argent impliquant des établissements financiers ont été nombreux dans les années 2010, débutant par la spectaculaire amende d'HSBC pour suspicion de financement du terrorisme et contribution au blanchiment d'argent des cartels mexicains, en 2012. Ces affaires, largement documentées et couvertes dans la presse, furent souvent accompagnées de sanctions infligées par le régulateur, et dont le nombre comme le montant fut croissant au cours de la dernière décennie.

En France, la création de l'ACPR en 2010 précède également la multiplication des sanctions pour infraction à la réglementation LCB-FT, comme en témoigne la longue liste de publication des décisions de la Commission des Sanctions.

En parallèle, les effectifs travaillant sur ces thématiques au sein des établissements financiers sont de plus en plus important, de même que les formations professionnelles, les interventions de cabinets de conseil, les développement de logiciels et outils spécialisés. La méthode s'améliore au rythme des exigences réglementaires, voire parfois la précède.

Bien sûr, les attentes de la population sont également croissantes. Les attaques terroristes du milieu des années 2010 ont à nouveau soulevées les questions du financement du terrorisme.

 Il semble clair qu'avant la décennie 2010, la LCB-FT n'en était qu'à son balbutiement. Dix ans plus tard, elle forme un domaine à part entière, avec ses acteurs, ses règles, ses termes, ses codes et ses spécialités. Cela représente une charge conséquente pour les établissements financiers, mais c'est aussi le signe que la criminalité financière est bien plus contrôlée qu'avant. On peut s'en réjouir.

​De nombreux enjeux à relever d'ici 2030

​Après de tels changements en une décennie, il convient de s'interroger sur les tâches qu'il reste à entreprendre, pour le secteur financier comme pour l’État. La réponse pourrait d'ailleurs ne pas venir de l’État, mais d'un renforcement du contrôle communautaire. Au-delà de la transposition complète et effective de la 5ème Directive - puis de la 6ème - n'est-il en effet pas tant pour l'Union Européenne de se doter d'un régulateur unique?

Cette autorité européenne de la LCB-FT - que j'appelle de mes vœux - pourrait assurément poursuivre le travail d'élargissement des secteurs couverts par la réglementation de LCB-FT. Elle pourrait également harmoniser les sanctions parmi les états-membres, et plus généralement rivaliser avec le régulateur américain. Alors où en est-on? À en croire la Commission Européenne, c'est en bonne voie. La tâche est vaste. Mais la feuille de route est définie, et l'instauration d'une surveillance LCB-FT au niveau européen devrait émerger dès 2021.

 Les nouvelles attentes en matière de LCB-FT n'attendront de toute façon par ce nouvel acteur: les nouvelles technologies, machine learning et intelligence artificielle en tête, couplées aux nouveaux usages - banques en ligne et fintechs, crypto actifs - soulèvent déjà de nombreux enjeux et opportunités pour la LCB-FT. Pour supporter la hausse exponentielle de détection d'opérations suspectes, on ne pourra pas toujours augmenter les effectifs. Il sera nécessaire d'introduire de nouvelles solutions automatiques, efficaces et immédiates. Et tâcher d'avoir le moins de retard possible sur le crime organisé, prompt à toujours s'adapter aux nouvelles contraintes.

Pour cette nouvelle décennie, espérons donc que les évolutions réglementaires soient toujours plus efficaces, que leur champ d'application soit davantage harmonisé au niveau européen, et surtout que ce soit le régulateur qui rythme les avancées en matière de LCB-FT, plutôt que les affaires et les scandales. Nous avons tout à y gagner.

BLL

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