Interview: Laetitia Zito et Romain Villa, Direction de la Conformité de Paymium
Paymium est une plate-forme d’échange de cryptomonnaies française, qui opère depuis 2011. Elle est enregistrée auprès de l’AMF en tant que Prestataire de Services sur Actifs Numériques. Paymium est la plus ancienne bourse d’échange de crypto-actifs en activité au monde.
Laetitia Zito est Chief Financial Officer, Romain Villa est Compliance Officer de Paymium. Ils ont accepté de répondre à nos questions sur les risques associés aux crypto-actifs, la conformité à la réglementation française, l’état des plateformes en activité…
Les cryptoactifs font aujourd’hui relativement peur pour leurs liens supposés avec la criminalité. Est-ce que pour vous le risque de blanchiment et de financement d'activités criminelles par les bitcoins et les cryptoactifs est avéré ?
Laetitia Zito : Il existe une multitude de monnaies digitales – à peu près 2000 aujourd’hui. Il y a de tout, c’est très émergent comme secteur. Mais pour nous, le risque associé aux monnaies principales (en particulier Bitcoins et Ethereum) est un peu fantasmé, parce que la blockchain offre un registre non falsifiable, non modifiable et consultable par tout le monde. Donc avec les nouvelles technologies, les outils d’analyse transactionnelle, l’intelligence artificielle, etc. toutes ces couches-là qui sont de plus en plus accessibles avec le big data, les cryptos sont de notre point de vue le plus mauvais chemin à prendre pour les utilisations illicites, contrairement à l’argent liquide qui est pour le coup intraçable. La plupart des grandes cryptos sont totalement traçables dans la blockchain.
Romain Villa : Je suis entièrement d’accord. Il y a vraiment beaucoup de cryptomonnaies différentes, les plus grosses étant tout à fait traçables, et d’autres sont beaucoup plus anonymisées. Mais plusieurs études ont montré qu’avec les cryptomonnaies, les transactions criminelles sont en proportion jusqu’à cinq fois inférieures qu’avec les monnaies traditionnelles.
Donc malgré l’anonymat permis par les crypto-actifs, malgré l’internationalisation des échanges, vous pensez que l’on peut remonter les échanges ?
LZ : La blockchain bitcoin permet de connaître le chemin d’un bitcoin depuis son origine. C’est très compliqué à analyser, c’est de la big data, mais c’est tout à fait possible – notamment pour les services de l’Etat qui ont tout à fait les moyens de remonter ces transactions.
S'agissant du financement du terrorisme, le Comité d'Orientation et de Lutte contre le Blanchiment (COLB) relevait en 2019 dans son analyse sectorielle que les compétences techniques exigées pour la compréhension des crypto-actifs pouvaient dissuader les entreprises criminelles. C'était vrai en 2019, mais est-ce que ça l'est toujours en 2021, maintenant qu'il y a de plus en plus de plateformes qui sont user-friendly et que le sujet est de plus en plus connu du grand public ?
LZ : Il y a plateforme et plateforme. Paymium a pris le parti d’être très compliant depuis le début – c’est peut-être aussi pour ça qu’on n’est pas un géant aujourd’hui. Mais on est encore aujourd’hui sur une technologie très émergente, avec des acteurs tout aussi émergents. Il est évident que les réseaux criminels peuvent avoir des compétences, ils savent se former. Ils sont très flexibles et apprenants. Mais je pense que ça n’est pas lié aux cryptos en particulier, c’est le jeu du chat et de la souris habituelle.
Le gouvernement français, au travers de la loi Pacte, a créé le statut de PSAN. Est-ce que vous pensez que la France s'est aujourd'hui dotée des outils réglementaires et juridiques d'encadrement des cryptos-actifs ? Par rapport à l'étranger, est-ce que cet environnement est particulièrement contraignant ?
LZ : Ce cadre réglementaire est évidemment positif – il va dans le sens de l’adoption du bitcoin par le grand public. En revanche il y a une réelle disparité entre les dispositifs mis en place ne serait-ce qu’au sein de l’Union européenne. Donc pour des startups comme la nôtre, avoir un cadre réglementaire si lourd est un frein pour notre développement. C’est un frein pour notre développement à l’intérieur de l’Union européenne, et plus encore à l’étranger. Je pense toutefois que sur du long terme, cela nous donnera un avantage compétitif. Le fait d’avoir déjà l’enregistrement PSAN nous donnera un avantage par rapport à ceux qui devront le faire plus tard. Mais en attendant, c’est du temps qui n’est pas investi dans l’innovation, dans l’expérience client, etc.
RV : Donner un cadre légal à notre secteur c’est quelque chose de très positif, on parle de mesures très protectionnistes de l’utilisateur. Mais on n’est pas tous logés à la même enseigne : ces règles ne sont finalement imposées qu’aux petits acteurs comme nous, et les gros, à l’étranger, réussissent à contourner les règles.
LZ : Et au-delà de ça, en tant que plateforme française, on a aussi beaucoup souffert de la réticence des banques. La plupart des acteurs des cryptos en France n’arrivent même pas à ouvrir un compte bancaire.
Qu’est-ce qui explique cette réticence des banques ? C’est ce poids réglementaire, ou un risque de réputation lié à ces activités ?
LZ : Il y a plusieurs interprétations, mais je pense que les cryptos représentent quand même en général une menace pour le business-model des banques. Fournir le même service en plus efficace, plus disponible et presque plus fiable que les banques, ça peut les faire grincer des dents. Mais le changement est en marche et les banques ne pourront pas l’arrêter.
RV : C’est une différence culturelle et une différence de modèle avec les banques traditionnelles et même avec les banques centrales. Le régulateur est encore assez frileux et les banques n’osent pas nous accompagner.
LZ : On espérait que le statut PSAN débloquerait des choses plus rapidement, mais c’est en cours. Les demandes des particuliers sont de plus en plus importantes, et les acteurs traditionnels vont devoir servir cette clientèle tôt ou tard.
Vous parlez du statut de PSAN. Est-ce que l’enregistrement auprès de l’AMF a été contraignant pour vous ?
LZ : Oui, ça a été un énorme travail, avec des chantiers techniques importants. Ça a freiné les projets de développement que l’on avait.
Votre dispositif LCB-FT représente donc aujourd’hui un poste important en termes de ressources ?
LZ : C’est un poste très important. On a récemment participé à une conférence où j’ai vu une société plus traditionnelle qui me disait avoir six personnes à la Conformité pour 2900 collaborateurs. Nous on a trois personnes à la Conformité alors qu’on est 17… Donc oui on a eu des contraintes tellement fortes qu’il va falloir qu’on allège un petit peu. On est à un non-sens économique en termes de ressources allouées à la Conformité par rapport au business.
Il y a plusieurs plateformes qui permettent l'achat et la vente de cryptoactifs et qui ne sont pas toujours enregistrées par l'AMF. Est-ce que vous avez l'impression qu'il y a des acteurs qui ne jouent pas le jeu ?
RV : Oui il y en a beaucoup qui trouvent des stratégies de contournement, y compris certaines qui vont avoir l’opportunité de rencontrer des membres de notre gouvernement…
LZ : Certaines ont des pratiques commerciales vraiment douteuses. Elles peuvent être bannies sur le site de l’AMF, mais elles sont tellement tentaculaires qu’il est compliqué de les encadrer.
Dans l’univers bancaire, on note de plus en plus d'arnaques aux faux investissements. Est-ce que c'est quelque chose qui touche également les plateformes de cryptoactifs ?
LZ : On a eu un cas récent avec de fausses plateformes en Allemagne, qui incitaient des clients à créer des comptes sur Paymium puis à leur donner leurs accès mais sinon ça reste très limité. Il y a eu un réel changement à partir du moment où on a mis en place la reconnaissance faciale. On a vraiment observé une diminution des tentatives d’usurpation d’identité et d’escroqueries.
Propos recueillis le 19 novembre 2021 par visioconférence.