Dubaï : un retrait de la liste GAFI qui pose question

En quelques années, Dubaï est devenue un centre financier mondial, accueillant fonds et investissements du monde entier. Mais dans le même temps, la cité-État s’est retrouvée au cœur de nombreux scandales juridico-financiers. Le 14 mai dernier, l’OCCRP (Organized Crime and Corruption Reporting Project), un consortium de chercheurs et de journalistes, publiait les « Dubaï Unlocked », une analyse massive de données immobilières démontrant les liens entre blanchiment et détention immobilière à Dubaï, en collaboration avec le journal Le Monde.

Les banques dubaïotes ont la réputation de facilement fermer les yeux sur l’origine des avoirs confiés, des opérations immobilières sont parfois réglées en cash, la coopération judiciaire est complexe, tandis que le gouvernement apparaît particulièrement complaisant.

Et pourtant, les Émirats Arabes Unis, l’État fédéral dont Dubaï constitue un Émirat, ne sont plus listés par le GAFI. Une situation qui interroge, qui a suscité des débats politiques inédits en Europe, et sur laquelle nous vous proposons de revenir.

De la liste grise du GAFI à l’imbroglio politique entre la Commission et le Parlement Européen

En septembre 2018, le journal l’Obs révélait les « Dubaï PaPers », une fuite de documents révélant l’existence d’un réseau international de fraude fiscale et d’un système de blanchiment massif aux Émirats. Une goutte d’eau dans l’océan des affaires juridico-financières impliquant Dubaï. Dès lors, la communauté de l’antiblanchiment n’est pas vraiment surprise quand, le 4 mars 2022, le GAFI place les Émirats sur sa liste grise, soulignant un certain nombre de défaillances dans le dispositif national de LCB-FT. Quelques mois après cette décision, et s’appuyant sur les conclusions du GAFI, l’Union Européenne place également les Émirats sur sa propre liste des pays à haut risque de blanchiment.

Seulement voilà : à peine deux ans plus tard, le 23 avril 2024, les Émirats sont retirés de cette même liste, au motif que des améliorations dans le dispositif national aurait été relevées. La Commission Européenne s’empresse de demander également la radiation de la liste européenne, mais se voit opposer un véto inédit, et largement commenté, de la part du Parlement européen.

La révision de la position du GAFI : un enjeu majeur pour la politique internationale de LCB-FT

Outre une majorité transpartisane de députés européens, plusieurs voix se sont fait l’écho d’une demande de réévaluation des risques liés à Dubaï. Il y a quelques jours, la commission d’enquête sénatoriale sur le narcotrafic remettait ses conclusions, et formulait 35 recommandations. La première d’entre elle, intitulée « obtenir une meilleure coopération judiciaire de Dubaï », désignait la cité-État comme un « paradis du blanchiment pour les trafiquants et divers criminels », et invitait le gouvernement français à plaider pour un réexamen de la décision du GAFI de retirer les Émirats de sa liste grise. Et pour cause: outre les affaires financières, Dubaï a la réputation de ne pas jouer le jeu de la transparence financière, avec un dispositif national défaillant et un manque global de culture de la conformité. Pour la justice française et européenne, les difficultés à obtenir des extraditions sont courantes, tandis que la métropole des Émirats est encore accusée, depuis plusieurs mois, de permettre le contournement des sanctions occidentales à l’encontre de la Russie.

Le 22 mai dernier, nous co-organisions une conférence sur cette thématique, à la Maison du Barreau à Paris, incluant une table ronde faisant notamment intervenir Maître Clara Gérard-Rodriguez, avocate au Barreau de Paris et ancienne juriste à la Cour Pénale Internationale, Laura-Mai Gaveriaux, grand reporter et ancienne correspondante des Echos à Dubaï, et Sara Brimbeuf, responsable du programme grande corruption et flux financiers illicites au sein de Transparency International France. Nathalie Goulet, Sénatrice de l’Orne très impliquée sur ces sujets, était aussi présente. La retransmission de la conférence a cependant été perturbée, après plus d’une heure de discussion, par un groupe de hackers. Ce n’est pas la première qu’un échange public sur un tel sujet se voit ainsi perturbé, ce qui interroge sur la capacité à interroger les questions sensibles de transparence financière.

Transparency International, comme plusieurs associations anticorruptions, appelle à faire de la lutte antiblanchiment internationale un sujet préservé de la politique et des enjeux diplomatiques, et à reconsidérer l’évaluation des Émirats. Nous nous associons à cet appel.

L’équipe de l’association LCB-FT FR

Mise à jour du 31 mai 2024: Contactées par nos soins, les autorités officielles des Émirats Arabes Unis (EAU) nous ont communiqué les éléments d’informations suivants :

« En février dernier, le GAFI a annoncé que les EAU avaient mis en œuvre les plans d’actions recommandés et a félicité le pays pour cet accomplissement. En tant pôle économique mondial, nous restons déterminés à adhérer à toutes les lois et conventions internationales afin de garantir l’intégrité du système financier mondial.

A titre d’illustration, le 26 avril dernier, le ministre de la justice des EAU a rencontré son homologue français à Abu Dhabi afin de continuer à approfondir le dialogue et la coopération entre les deux pays, notamment en matière d’extraditions. Durant ces quatre dernières années, les EAU ont extradés 14 individus vers la France, et 7 affaires sont actuellement examinées par les tribunaux Émiratis. Les EAU ont par ailleurs salué la récente nomination par la France d’un officier de liaison judiciaire.

En outre, nous rappelons que les Émirats et la France disposent d’une coordination forte dans la lutte contre la criminalité financière. A titre d’exemple, la cellule de renseignement financier des EAU a signé en février un dernier un protocole d’accord (MOU) avec Tracfin. Ce MOU fournit un cadre solide de collaboration en matière de LCB-FT.

Enfin, une délégation française incluant le Directeur général du Trésor, Bertrand Dumont, a récemment visité le bureau exécutif de la LCB-FT et discuté de la coopération entre les autorités des deux pays ».

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