Lutte contre le financement du terrorisme: notre dossier

Le terrorisme désigne les actes criminels violents commis afin d’intimider une population à des fins politiques ou idéologiques. Les actes terroristes et les organisations qui les commettent, les préparent ou les facilitent nécessitent des financements de volume et de nature diverses. La lutte contre le financement du terrorisme constitue donc un enjeu sécuritaire important pour les États.

La lutte contre le financement du terrorisme (LFT) constitue par ailleurs une obligation pour les établissements assujettis, dont les établissements financiers, dont les produits et services peuvent être utilisés pour financer des actes criminels.

 

Nous avons souhaité centraliser différentes informations et points de vue portant sur le financement du terrorisme en constituant un dossier sur cette thématique, comme nous l’avions fait l’an dernier avec la lutte contre la corruption.

Vous trouverez ci-dessous trois interviews que nous avons réalisées en lien avec ce sujet:

  • Interview de Xavier Laurent, Vice Procureur au Parquet National Antiterroriste, en charge du volet Financement du Terrorisme: nous revenons avec lui sur le rôle du PNAT, le contexte de sa création, son mode de fonctionnement et les suites judiciaires données aux affaires de financement du terrorisme

  • Interview de Clément Fayol, journaliste d’investigation, spécialiste des réseaux internationaux et coauteur de “Un cartel nommé Daech”, publié en 2017, et “Le Malheur des uns fait le business des autres”, sorti ce jeudi 5 octobre: nous échangeons sur les méthodes de financement de Daech, les rouages de l’organisation terroriste et ses relations avec d’autres acteurs criminels

  • Interview de Nathalie Goulet, sénatrice de l’Orne, et auteur de « L’abécédaire du financement du terrorisme »: nous avons échangé avec elle sur les techniques de financement du terrorisme et les politiques de prévention en France et en Europe.

En complément de ces interviews, nous vous proposons quelques éléments d’ordre général sur le terrorisme et les problématiques de FT.

Quelles sont les définitions du terrorisme ? Du financement du terrorisme ?

Au sens large, le terrorisme désigne les modes d’action criminels ayant pour but de terroriser une population. Il convient toutefois de noter qu’il existe plusieurs définitions du terrorisme, sans qu’aucune ne fasse nécessairement consensus.

L’ONU, bien qu’elle ait mentionné le terrorisme à plusieurs reprises, n’a pas retenu de définition particulière.

L’Union Européenne en revanche, a arrêté la définition suivante : « les infractions terroristes sont des actes commis dans l'un des buts suivants: gravement intimider une population; contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque; gravement déstabiliser ou détruire les structures politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales fondamentales d'un pays ou d'une organisation internationale ».

En France, le terrorisme est mentionné dans le code pénal, qui y consacre une partie : il s’agit des articles 421-1 à 422-7 (« Titre II : Du terrorisme », Livre IV). Les actes de terrorismes sont intentionnels, ont pour but « de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur » et incluent notamment les atteintes à la vie et à l’intégrité des personnes, les vols, extorsions, destructions, dégradations, les infractions en matière d’armes, le recel, mais aussi les infractions de blanchiment et les délits d’initiés.

En outre, l’article 421-2-2 assimile le financement du terrorisme à un acte de terrorisme : « Constitue également un acte de terrorisme le fait de financer une entreprise terroriste en fournissant, en réunissant ou en gérant des fonds, des valeurs ou des biens quelconques ou en donnant des conseils à cette fin, dans l'intention de voir ces fonds, valeurs ou biens utilisés ou en sachant qu'ils sont destinés à être utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre l'un quelconque des actes de terrorisme prévus au présent chapitre, indépendamment de la survenance éventuelle d'un tel acte ».

Enfin, le FT est mentionné dans le code monétaire et financier, au sein du Titre VI portant sur les obligations relatives à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. L’article L561-2 liste en particulier l’ensemble des personnes assujetties à ces obligations.

Quelles sont les conséquences du terrorisme ?

Les actes terroristes ont évidemment des conséquences directes au-travers des pertes humaines qu’ils peuvent infliger. Ils peuvent également causer des dégâts matériels significatifs. Le terrorisme peut plus largement avoir un impact sur les dimensions économiques, sociales et politiques des territoires qui y sont exposés.

Depuis le début des années 2000, l’Université du Maryland tient la Global Terrorism Database (GTD), base de donnée référence s’agissant du recensement des actes terroristes. La GTD comptabilise plus de 200 000 attaques terroristes survenues dans le monde depuis 1970.

En France, au moins 264 personnes sont mortes en raison d’attaques terroristes entre 2015 et 2023.

Quel est l’état de la menace terroriste en France ? Et dans le monde ?

L’exposition de la France au risque terroriste s’est significativement accrue au milieu des années 2010 en raison du risque de terrorisme islamiste. Par le passé, la France a connu plusieurs périodes de menace terroriste importante, notamment issues de mouvements nationalistes, en lien avec la guerre d’Algérie ou avec des tendances d’ultradroite et d’ultragauche.

S’agissant de la lutte contre le financement du terrorisme, le GAFI a estimé, dans sa dernière évaluation du dispositif national de LCB-FT, que la France en avait récemment fait “une de ses priorités majeures” et avait obtenu “de très bons résultats”, notamment en raison du fait que les enquêtes visant le terrorisme incluaient désormais systématiquement un volet FT.

Au niveau mondial, l’Institute for Economics and Peace (IEP), un think tank international, publie depuis 2000 le Global Terrorism Index, un rapport annuel classant les différents états selon leur exposition récente au terrorisme.

Au sein de l’UE, l’agence Europol publie par ailleurs chaque année un rapport sur la situation et les tendances du terrorisme en Europe. Le dernier rapport, en anglais, a été publié cet été, et est accessible en suivant ce lien.

Qui est impliqué dans la lutte contre le financement du terrorisme ?

Outre les assujettis aux obligations de lutte contre le financement du terrorisme, plusieurs acteurs institutionnels et services répressifs sont impliqués, en France, dans la lutte contre le FT, notamment la cellule de renseignement financier Tracfin et les différents services de renseignement. C’est la DGSI qui assure en France le rôle de chef de file dans la lutte contre le FT.

Au niveau judiciaire, une instance dédiée a été créée en 2019 : le Parquet National Antiterroriste (PNAT).

Par ailleurs, la Direction Générale du Trésor (DGT) tient le registre national des gels, qui recense la liste des personnes faisant l’objet de mesures restrictives – dont une part notable est justifiée par des liens avec des actions ou des organisations terroristes. La DGT, dans sa fonction de coordinatrice de l’application des mesures de gel, constitue donc un acteur clé du dispositif de lutte contre le FT. Les mesures de gel peuvent être décidées au dispositif national, européen ou international via l’ONU – cela est particulièrement le cas pour le sujet du terrorisme.

Enfin, il est à noter que l’Union Européenne dispose d’un coordinateur pour la lutte contre le terrorisme, chargé de piloter la stratégie de lutte contre le terrorisme et contre le financement du terrorisme au sein de l’UE. L’actuel coordinateur, le finlandais Ilkka Salmi, a été nommé en octobre 2021, pour cinq ans.

Quelles sont les méthodes de financement du terrorisme ?

Le FT passe par plusieurs étapes intermédiaires : collecte de fonds ou de matériels, stockage, acheminement de ces ressources, transformation ou utilisation.

Ces différentes étapes peuvent impliquer des mécanismes habituels – utilisation du système bancaire classique pour réaliser des virements vers l’étranger, des souscriptions de crédits, accéder à différents moyens de paiement, etc., ou recourir à des méthodes non-conventionnelles, tels que les trafics, fraudes, escroqueries, détournements de fonds (notamment via l’utilisation de sociétés écrans ou d’associations situées à l’étranger), recours aux cryptoactifs, à l’hawala, etc.

Plus largement, il faut garder en tête que le FT peut aussi bien reposer sur une organisation complexe et sophistiquée, pilotée depuis l’étranger par une organisation structurée, que sur un autofinancement local et désorganisé. Les attentats islamistes survenus en France en 2015 et 2016 ont souligné la menace portée par l’autofinancement d’un terrorisme dit « low cost ».

Qu-est ce que l’hawala ?

L’hawala (“virement” en langue arabe) est un système traditionnel millénaire de paiement et de transfert de fonds. Il serait originaire du sous-continent indien, et se serait progressivement développé dans la péninsule arabique puis dans le monde musulman. L’hawala permet la circulation d’argent au sein d’un réseau d’agents, les hawaladars, reliés entre eux de manière non-bancarisée et non-informatisée, qui procèdent à des méthodes de compensation pour limiter la circulation effective des sommes confiées.

Si, dans l’extrême majorité, l’hawala – ou plutôt les différents systèmes d’hawala - sont utilisés à des fins légitimes, ils échappent par nature aux mécanismes de contrôles des flux, et ont pu être suspectés de contribuer au FT et au blanchiment, en particulier à la suite des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis.

Les cryptoactifs sont-ils utilisés pour financer le terrorisme ?

De par leur caractère technique favorisant l’anonymat (ou à minima le pseudonymat) et de l’existence d’outils permettant d’accroître l’opacité des opérations (comme les tumblers), les cryptoactifs sont souvent suspectés de contribuer au financement d’activités criminelles.

S’il est difficile d’attester de la réalité effective de cette utilisation au regard du volume de cryptoactifs échangés et du caractère encore assez nouveau de ces moyens de paiement, certains travaux récemment publiés (notamment les travaux de la société d’analyse spécialisée TRL Labs, en anglais) semblent confirmer l’utilisation, marginale, de cryptoactifs à des fins de FT, voire pour financer la prolifération d’armes de destructions massives. Un cas type de financement du terrorisme par les cryptoactifs a par ailleurs été présenté par Tracfin dans son rapport “LCB-FT: état de la menace”.

Enfin, il apparaît avéré que les mouvements terroristes palestiniens ont financé une partie de leur action armée récente par des cryptoactifs.

Que sont les “signaux faibles” ?

En matière de lutte contre le terrorisme, les signaux faibles désignent l’ensemble des comportements, économiques ou non, qui peuvent témoigner d’un risque de radicalisation ou de menace terroriste. Les dispositifs de surveillance des opérations peuvent conduire à identifier un certain nombre de comportements à risque, tels que des virements vers des zones de guerre ou vers des personnes listées, des achats et retraits rapide de crédits à la consommation, etc. Mais les dispositifs informatisés et le recours à l’intelligence artificielle peuvent également permettre l’identification de comportements non économiques qui, pris dans une dimension cumulative, peuvent souligner un risque : on peut par exemple citer les changements récurrents de coordonnées, les connexions aux applicatifs depuis des pays à risque, les achats de produits fortement connotés, etc.

Pour les entreprises assujettis à la règlementation LCB-FT, ces l’identification des ces comportements doit pouvoir conduire à l’envoi d’une déclaration suspecte à la cellule de renseignement financier.

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