Lutte contre la corruption : notre dossier

La corruption constitue un délit économique, un domaine particulier de la criminalité financière, et un facteur majeur de besoin de blanchiment. À ce titre, la lutte contre la corruption constitue un sous-élément de la LCB-FT: une thématique qui y est associée aussi bien pour sa nature et ses caractéristiques que pour définir les mesures de prévention – identification des comportements à risques, surveillance des opérations, coopération entre le secteur privé, les instances répressives et judiciaires, etc.

Afin de contribuer à la réflexion liée à la lutte contre la corruption et mieux faire connaître ses différentes dimensions, nous avons souhaité constituer un dossier consacré à cette thématique. Reposant sur plusieurs échanges que nous avons eus avec des acteurs de la lutte contre la corruption, ce dossier cherche à réunir plusieurs expériences et visions de la lutte contre la corruption en France.

Vous pouvez retrouver ci-dessous les six interviews que nous avons publiées:

En complément de ces interviews, vous trouverez ci-dessous quelques éléments d’ordre général sur la corruption et son cadre réglementaire.

Qu’est-ce que la corruption ?

La corruption désigne le fait de détourner un processus, une relation ou une interaction dans le but d’obtenir des avantages. Il implique nécessairement un corrupteur et un corrompu : une ou plusieurs personnes, une entreprise ou même un État.

En France, le code pénal (notamment les articles 433-1 et suivants) consacre une section à la corruption, définissant comme atteinte à l’administration publique « le fait, par quiconque, de proposer sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques à une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public, pour elle-même ou pour autrui » et un chapitre (articles 445-1 et suivants) à la corruption des personnes n’exerçant pas une fonction publique, reprenant la même terminologie mais afin qu’une personne « accomplisse ou s'abstienne d'accomplir, ou parce qu'elle a accompli ou s'est abstenue d'accomplir un acte de son activité ou de sa fonction ou facilité par son activité ou sa fonction, en violation de ses obligations légales, contractuelles ou professionnelles ».

L’association Transparency France distingue la corruption active - « fait de proposer le don ou l’avantage quelconque à la personne investie de la fonction déterminée » - de la corruption passive – « fait, pour la personne investie de la fonction déterminée, d’accepter le don ou l’avantage ».

Qu’est-ce que la loi Sapin 2 ?

La loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique – dite loi Sapin 2 – est la loi de référence s’agissant des exigences réglementaires en matière de lutte contre la corruption en France.

Cette loi, présentée par l’ancien ministre de l’Économie et des Finances Michel Sapin, avait pour ambition de renforcer l’arsenal législatif français, qui devait se mettre en conformité avec les engagements internationaux pris s’agissant de la lutte contre la corruption – notamment la convention anti-corruption de l’OCDE, adoptée en 1997.

Cette loi prévoit plusieurs mesures afin de renforcer les moyens de lutte contre la corruption, notamment :

  • La création de l’Agence Française Anticorruption (AFA), service à compétence nationale auprès du ministre de la justice et du ministre chargé du budget, en charge du contrôle des atteintes à la probité ;

  • L’instauration des Conventions Judiciaires d’Intérêt Public (CJIP), qui permettent au procureur de la République de proposer à une personne morale mise en cause pour des faits de corruption de conclure une convention financière en échange de la levée des poursuites judiciaires ;

  • La création du statut de « lanceur d’alerte », défini dans un article de loi dédié et assurant une protection juridique à ces personnes ;

  • La mise en place d’un registre des lobbyistes et d’obligations déclaratives s’agissant du lobbying.

Surtout, la loi Sapin 2 liste un certain nombre d’obligations à destination du secteur privé : les entreprises d’une certaine taille doivent désormais mettre en place un dispositif permettant de prévenir et détecter la corruption et le trafic d’influence.

Qui est assujetti à la loi Sapin 2 ?

La loi Sapin 2 définit un certain nombre de mesures de lutte contre la corruption et manquements à la probité, auxquelles sont directement assujettis « les présidents, les directeurs généraux et les gérants d'une société employant au moins cinq cents salariés, ou appartenant à un groupe de sociétés dont la société mère a son siège social en France et dont l'effectif comprend au moins cinq cents salariés, et dont le chiffre d'affaires ou le chiffre d'affaires consolidé est supérieur à 100 millions d'euros » (article 17).

Quelles sont les principales obligations de la loi Sapin 2 pour les sociétés assujetties ?

La loi exige que les personnes assujetties mettent en place un dispositif de lutte contre la corruption reposant sur huit points, considérés comme “les huit piliers” de la loi Sapin 2 :

  1. Un code de conduite en matière de lutte contre la corruption ;

  2. Un dispositif d’alerte interne permettant le recueil de signalements ;

  3. Une cartographie des risques permettant l’identification et la hiérarchisation des risques de corruption ;

  4. Un processus d’évaluation des risques des tiers : clients, fournisseurs, intermédiaires et prestataires ;

  5. Des procédures de contrôles comptables ;

  6. Un dispositif de formation et de sensibilisation à destination du personnel exposé au risque de corruption ;

  7. Un régime disciplinaire incluant des mesures de sanction en cas de violation du code de conduite ;

  8. Un dispositif de contrôle et d’évaluation interne.

Pour l’ensemble de ces mesures, l’AFA a publié à plusieurs reprises des recommandations, destinées à aider les sociétés assujetties à prévenir et détecter les faits de corruption.

Qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte ?

La loi définit (article 6) le lanceur d’alerte comme une personne physique qui signale « un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ». Le lanceur d’alerte fait l’objet d’une protection juridique spécifique.

Qu’est-ce que la justice négociée ? Les CJIP ?

En matière de lutte contre la corruption, la Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) est une procédure permettant au procureur de la République de proposer à une personne mise en cause une convention qui aura pour effet d’éteindre la poursuite. Cette convention s’accompagne le plus souvent du versement d’une amende d’intérêt public, de la réparation du préjudice causé et éventuellement d’une obligation d’application d’un programme de mise en conformité.

Les CJIP ont l’avantage d’accélérer considérablement les procédures, mais elles sont aussi critiquées car accusées de permettre aux entreprises frauduleuses d’acheter leur innocence.

Quelle est la situation en France ?

La loi Sapin 2 a considérablement renforcé les exigences en matière de lutte contre la corruption et constitué une avancée majeure pour prévenir ces faits. Ces efforts ont d’ailleurs été soulignés dans un rapport d’évaluation réalisé par l’OCDE et publié le 16 décembre 2021. Le groupe de travail de l’OCDE souligne ainsi des « réformes législatives et institutionnelles de première importance » et les « progrès notables dans la mise en œuvre de l’infraction de Corruption d’agent public étranger », ainsi que « l’augmentation significative du nombre d’enquêtes ouvertes et d’affaires résolues ».

L’ONG Transparency International se montre davantage nuancée : l’indice de la perception de la corruption (IPC), publié annuellement et qui repose sur ses propres indicateurs, ne s’élève qu’à 71 pour la France. Un chiffre en deçà de plusieurs pays développés (la Nouvelle Zélande, le Danemark et la Finlande arrivent en tête du classement avec un indice de 88), et stagnant depuis plusieurs années.

Par ailleurs, l’AFA a publié en novembre 2022 et pour la première fois des statistiques portant sur les atteintes à la probité enregistrées par les services de police et de gendarmerie, collectées entre 2016 et 2021. Aussi, 800 infractions ont été enregistrées en 2021, un chiffre en augmentation constante depuis 2016. Les infractions pour corruption représentent près d’un tiers de ces atteintes à la probité, mais portent en majorité sur de la corruption publique. Les autres infractions enregistrées concernent le détournement de fonds publics, la prise illégale d’intérêts ou encore le favoritisme.

Quelle est la situation en Europe ? Et dans le monde ?  

À défaut de disposer d’indicateurs de référence sur le plan international, c’est à nouveau vers l’indice de Trasparency International qu’il faut se tourner.

Dans les grandes lignes, les pays les mieux notés sont les pays d’Europe de l’Ouest, d’Amérique du Nord et de quelques états asiatiques comme Singapour ou le Japon, ou océaniques, comme la Nouvelle Zélande. Les états les plus pauvres, en guerre ou les moins démocratiques ferment le classement – notamment la Lybie, l’Afghanistan, la Corée du Nord, le Yemen ou la Syrie.

S’agissant de l’Europe spécifiquement, l’agence européenne Eurojust a par ailleurs publié au mois de mai dernier un rapport analytique de 505 cas de corruption ayant eu lieu entre 2016 et 2021 et illustrant plusieurs risques persistant en Europe.

Mise à jour du 2 février 2023: Transparency International vient d’actualiser son indice de perception de la corruption, pour l’année 2022. Transparency France en propose une synthèse dans un article dédié. Le Danemark (indice de 90/100) arrive en tête du classement international, suivi par la Finlande et la Nouvelle-Zélande (87). La France arrive en 21ème position avec un score de 72, un score assez stable par rapport à l’année dernière (71). L’ONG salue toutefois “des signaux encourageants” en 2022, notamment l’ouverture d’enquêtes par le PNF faisant suite à “l’affarie McKinsey”, ou les mises en examen d’Alexis Kohler et d’Eric Dupond-Moretti, soulignant la capacité du pouvoir judiciaire à détecter et investiguer des pratiques frauduleuses des dirigeants. La volonté de l’exécutif a lutter contre la corruption apparaît toutefois encore insuffisante, tandis que le manque de transparence dans les relations entre les secteurs publics et privés demeure une source de vulnérabilité persistante.

Mise à jour du 2 février 2024: Transparency International a publié son indice de perception de la corruption 2023, la France arrivant 20ème malgré un score dégradé à 71/100. Vous trouverez plus d’informations dans notre publication dédiée.

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