Panorama de la fraude en 2022
Xavier Houillon est Directeur Fraud & Financial Crime au sein du Groupe Deveryware, entreprise française experte en technologies d’investigation et de services pour la sécurité globale. Il a contribué au livre blanc « Fraude : le fléau aux mille visages », publié par Deveryware.
Une fraude en progression constante…
Chaque année en France, la fraude représente un manque à gagner de plusieurs centaines de millions d’euros. 2021 ne fait pas figure d’exception. La récurrence des attaques et le coût de la fraude sont en croissance. Un quart des entreprises françaises a été victime d’un préjudice. 14% d’entre elles l’estiment à un montant supérieur à 100 000 euros (4 points de plus qu’en 2020) et un cinquième dit avoir subi des dommages supérieurs à un million de dollars (Baromètre 2021 Euler Hermes/DFCG)!
La croissance des arnaques aux placements financiers inquiète notamment les autorités. En décembre 2021, une enquête a été ouverte par le Parquet de Paris et par les autorités financières françaises (AMF, ACPR et DGCCRF) afin d’alerter sur ce phénomène. L’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) démontre la progression de 300 % des entités frauduleuses entre 2020 et 2021. Ces escroqueries financières s’étendent du rachat de crédits à la consommation aux investissements fictifs en passant par les célèbres pyramides de Ponzi. La moyenne française de ces préjudices s’élèverait à près de 500 millions d’euros. En Europe, le combat contre la fraude est notamment porté par l’Office Européen de Lutte Anti-Fraude (OLAF) qui a mené à ce jour plus de 2200 enquêtes et recommandé le recouvrement de 7,5 milliards pour le budget de l’UE depuis 2010.
…qui se heurte à des solutions nouvelles
Entre prise de conscience et premières actions timides, les entreprises tentent de limiter leur exposition au risque de fraude. Les réactions restent néanmoins très mitigées. La majorité des entreprises n’a pour l’heure toujours pas alloué de fonds pour lutter contre la fraude et la menace cyber associée. Mais cette tendance pourrait connaître une inversion. 55% des entreprises sondées dans le cadre du Baromètre 2021 Euler Hermes/DFCG prévoiraient d’allouer ou d’augmenter leur budget de lutte contre la fraude pour 2022. La lutte contre la fraude doit débuter par la sensibilisation. En effet, 9 fraudes réussies sur 10 sont imputables à l’erreur humaine. Il est donc nécessaire de former continuellement les individus sur les risques et les méthodes de la fraude ainsi que leurs évolutions. Démocratiser les schémas de double validation et la séparation des tâches pourrait limiter les conséquences d’une attaque.
Les innovations offrent aussi l’épée et le bouclier. APT, solutions d’automatisation, KYC, KYS, machine learning, IA, data mining et blockchain, les solutions disponibles sont multiples. Le succès de la détection de la fraude repose principalement sur la pertinence de l’algorithme ou de la suite d’algorithmes utilisés, la profondeur des données manipulées, et sur la puissance de calcul à disposition. Gagner à l’avenir en finesse d’analyse passera en effet par l’enrichissement de données et une puissance de calcul renforcée. L’adoption de la signature biométrique ouvre aussi de nouvelles voies pour réduire la progression des attaques dans le secteur des assurances ou de la sécurité sociale. La numérisation des services de paiement accorde plus de marge de manœuvre à TRACFIN ainsi qu’à l’ensemble des services de renseignements financiers régionaux. La coopération inter-étatique se voit donc renforcée par l’échange d’informations, harmonisant la surveillance au niveau européen.
Un cadre juridique renforcé
L’adoption, par le Parlement en 2018, de la loi relative à la lutte contre la fraude permet de mieux détecter et appréhender la fraude. Elle précède l’instauration de la responsabilité solidaire et la nouvelle directive TVA e-commerce, qui sont autant de nouveaux instruments réglementaires permettant de lutter contre la fraude. A ces dispositifs législatifs viennent s’ajouter de nouveaux acteurs de la lutte contre la fraude, à l’instar de la task-force contre les fraudes et escroqueries qui permet d’optimiser l’efficacité de l’action publique en la matière. A l’échelle européenne, la création d’un Parquet européen vise à réduire les pertes économiques imputées à la fraude, qui se comptent en milliards d’euros. L’Europe renforce également son arsenal face au blanchiment et au financement du terrorisme.
La Commission Européenne a proposé de mieux réguler les monnaies virtuelles et les flux financiers afin d’identifier les activités illégales. En 2024, l’exécutif régional envisage la création d’une « Autorité européenne de lutte contre le blanchiment » (AMLA) pour superviser les « entités à risques », ciblant les groupes transfrontaliers. Des questions subsistent néanmoins : Comment seront exactement définies les « entités financières à risque » relevant de la supervision directe de l’ALMA ? Comment s’organiseront le contrôle et l’appui fourni aux superviseurs nationaux sur des cas spécifiques ?