Lutte contre la corruption: Interview d’Olivier Marleix, député
Interview 6/6 - Cet échange fait partie de notre série d’interviews portant sur la lutte contre la corruption. Retrouvez toutes nos interviews dans notre dossier thématique.
Olivier Marleix est député depuis 2012 et l’actuel Président du groupe Les Républicains à l’Assemblée Nationale. Il a par le passé été maire de la commune d’Anet et conseiller général d’Eure-et-Loir. Lors de la précédente législature, il a été rapporteur, avec le député Raphaël Gauvain, d’une mission d’information pourtant sur l’évaluation de la loi Sapin 2, dont les conclusions ont été publiées le 7 juillet 2021.
Monsieur le député, quel regard portez-vous, d’une manière générale, sur les politiques anticorruptions menées par la France ? Les gouvernements successifs de ces 20 dernières années ont-ils pris conscience des enjeux ?
Olivier Marleix : Globalement, la réponse n’est pas du tout à la hauteur des enjeux. La loi Sapin 2 a été prise en grande partie dans la précipitation après l’amende infligée par les américains à Alstom et alors que s’ouvre le dossier Airbus. Cette loi a tout de même permis à la France de se doter d’un arsenal juridique réel – conformément d’ailleurs à nos engagements internationaux, notamment la convention de l’OCDE de 1997.
Cela dit, des outils juridiques ne font pas une politique. Il reste aujourd’hui un vrai défaut dans l’animation de cette politique anticorruption. Je pense qu’il devrait y avoir une animation de rang gouvernemental, par exemple avec un Secrétaire d’Etat chargé de la lutte contre la corruption – comme c’est le cas en Grande Bretagne.
Il suffit de regarder la faible mise en œuvre des obligations de prévention des atteintes à la probité par les opérateurs de l’État ou les collectivités locales, tels qu’ils ressortaient d’une enquête menée par l’AFA: nous avons des résultats dérisoires dans certaines collectivités locales. Les grandes villes et les régions jouent bien le jeu, mais dans les intercommunalités, ou les communes moyennes, les notions de prévention de la corruption sont totalement étrangères. Le « bloc local » est pourtant à l’origine de 70% de la commande publique en France…
Et au niveau des acteurs privés, pensez-vous que les entreprises françaises jouent le jeu ?
Oui, et je pense que le travail de l’AFA et de Charles Duchaine y est pour beaucoup : le risque de réputation est aujourd’hui très important et les entreprises françaises en ont pris conscience. C’est d’ailleurs assez étrange : ces obligations sont davantage intégrées par les entreprises que par la sphère publique !
Il reste toutefois quelques trous dans la raquette au niveau des acteurs privés, en particulier le critère de territorialité qui exonère les filiales des grands groupes étrangers des obligations de la loi Sapin 2. Cela créé une distorsion de concurrence aux dépends de nos propres entreprises.
Et au niveau de l'État ? Les nombreuses affaires politico-financières de ces dernières années ont-elles contribué à affaiblir la confiance envers les gouvernements, les institutions et les administrations ?
Oui, malheureusement. A titre personnel, je trouve d’ailleurs que la façon dont le Président de la République a décidé de relativiser certaines décisions de justice ces dernières années – je pense aux mises en examen de membres du gouvernement qui n’entrainent plus leur démission – a constitué un grave coup porté à la crédibilité de la lutte contre la corruption.
Il en va de même pour les sujets de conflits d’intérêts qui peuvent concerner la haute fonction publique et qui sont longtemps passés sous les radars.
Enfin, je considère que la création du PNF a été très utile pour faire le ménage tout en gardant le contrôle sur les affaires de corruption impliquant les entreprises avec la convention judiciaire d’intérêt public, mais le fait que l’on ait un procureur unique, nommé par le gouvernement, constitue pour moi quelque chose d’extrêmement malsain dans le domaine politico-financier. Lorsque l’on avait cent procureurs de la République, on pouvait avoir un doute sur le fait que, dans les affaires de corruption, ils fassent tous bien leur travail. Aujourd’hui nous n’en avons plus qu’un, qui est choisi avec beaucoup de soin par l’exécutif. Cette centralisation pose question.
S’agissant du rapport parlementaire, que vous avez rédigé avec Raphaël Gauvain, vous avez souhaité évaluer tout particulièrement le rôle de l’Agence Française Anticorruption, l’application des CJIP, le statut de lanceur d’alerte et enfin le registre des représentants d’intérêts. Que préconisez-vous concernant l’AFA ?
L’AFA a eu le défaut propre à toutes les structures qui démarrent. Les premiers contrôles qui ont été menés l’ont été avec des approches parfois très différentes tenant à la culture des différents corps d’origine des contrôleurs. Tout cela s’est harmonisé. Il y a eu aussi des incompréhensions lors des premiers contrôles, l’AFA ne tenant pas compte de la cartographie des risques élaborés par l’entreprise. Mais l’AFA a beaucoup contribué à la diffusion d’une culture de prévention de la corruption. Cela a été fait de manière remarquable, et cela est beaucoup le fruit de l’énergie déployée par Charles Duchaine, qui a rempli sa mission avec beaucoup d’intelligence. L’AFA a su expliquer qu’elle avait aussi un devoir de protection des entreprises françaises.
En se plaçant du point de vue des entreprises, nous avons toutefois recommandé un transfert des missions de contrôle de l’AFA vers la HATVP. C’est un sujet dont nous avons beaucoup débattu, nous ne voulions pas donner l’impression de mettre en cause l’AFA dans son fonctionnement. Mais nous avons estimé qu’il y avait une situation de doublon. Les entreprises ont deux interlocuteurs : l’un chargé de la prévention de la corruption, l’autre, chargée de la prévention du conflit d’intérêts. Nous préconisons donc qu’il n’y ait qu’une seule entité, pour plus de cohérence et de rationalisation.
La France a longtemps accusé un retard en matière de protection des lanceurs d’alerte. Qu’en est-il aujourd’hui ?
La loi sapin 2 s’est arrêtée à un entre deux dangereux, en donnant le sentiment d’une protection des lanceurs d’alerte, alors qu’en fait cette protection n’existe pas.
Nous avons donc proposé la création d’un statut de lanceur d’alerte, en renforçant le rôle du Défenseur des droits. Il faut une protection a priori, qui ne permette pas la diffamation mais permette une présomption favorable. La loi du 21 Mars 2022 a depuis amélioré cette protection.
S’agissant enfin de la représentation des intérêts, votre rapport parlementaire est assez critique sur l’effectivité des mesures existantes.
C’est un sujet très important. Le besoin de transparence est majeur et les outils la permettant ne sont pas encore totalement en place. En la matière, un décret a vidé la loi d’une grande partie de son contenu en excluant de la liste des représentants d’intérêt les lobbyistes « à mi-temps » ou se contentant de 10 entrées en relations par an. Il faudrait une approche beaucoup plus rigoureuse, portant sur toutes les actions d’entrée en relation avec un lobbyiste, qu’elle soit à l’initiative du représentant d’intérêt ou d’un acteur public.
Ce sujet est très important, il a d’ailleurs été souligné par un rapport du GRECO. Il constitue une grande fragilité du dispositif anticorruption national.