Autorité Européenne de la LCB-FT: où en est-on?
Mise à jour du 22 février 2024: il a été décidé par le Parlement Européen et le Conseil que la ville de Francfort accueillerait le siège de l’AMLA.
Cela fait un moment que l’on entend parler de l’Anti Money-laundering Authority, ou AMLA, la future autorité européenne de la LCB-FT. De son évocation dès 2019 à l’officialisation des candidatures des villes hôtes il y a quelques jours, en passant par les premières publications de la Commission Européenne en juillet 2021 : l’AMLA poursuit son chemin, sans toutefois que l’on en sache beaucoup plus sur ses objectifs, ses ressources et ses échéances.
S’agissant du processus législatif européen, le projet est en cours : en mars dernier, les députés européens ont approuvé l’AML Package, qui contenait un règlement dédié à la création de l’AMLA et arrêtait un certain nombre d’éléments quant à ses principes. Le dossier est officiellement entré en trilogue, soit l’étape législative de discussions entre la Commission, le Conseil de l’UE et le Parlement. Le règlement AMLA arrêtait toutefois une position de statuquo : avant de créer formellement l’autorité, les institutions européennes doivent d’abord se mettre d’accord sur un processus de désignation du pays hôte.
Car en parallèle des discussions à Bruxelles, plusieurs Etats se portaient candidats à l’accueil de la future institution – et des emplois qui vont avec. Fin septembre, la Commission Européenne a publié un appel officiel à candidature, au travers d’une Call Letter (accessible en téléchargement en suivant ce lien) fixant une échéance au 10 novembre. Et le 13 novembre, cette même Commission a officialisé les neuf candidatures suivantes :
Bruxelles (Belgique) :
Dublin (Irlande) ;
Francfort (Allemagne) ;
Madrid (Espagne) ;
Paris (France) ;
Riga (Lettonie) ;
Rome (Italie).
Vienne (Autriche) ;
Vilnius (Lituanie).
Luxembourg, qui avait un temps manifesté son intérêt, s’est finalement retirée de la course.
La candidature française se précise et privilégie le quartier de la Défense
Lors de l’annonce de sa candidature, la France avait mis les petits plats dans les grands pour essayer d’attirer l’AMLA, notamment en mettant en avant la localisation d’autres institutions clé à Paris, et chargé Robert Ophèle, ancien président de l’ACPR et de l’AMF, de porter cette candidature. Nous l’avons interviewé à ce sujet il y a quelques mois.
Avec l’officialisation des candidatures, la Commission Européenne a également rendu public le formulaire de candidature, ce qui permet d’en apprendre davantage. Le dossier français compte sur trois principaux arguments : d’abord la proximité avec d’autres institutions basées à Paris (surtout le GAFI, et dans une moindre mesure l’OCDE, l’ABE et l’ESMA) et à Strasbourg (le Conseil de l’Europe et donc Moneyval). Ensuite la solidité du dispositif national de LCB-FT, souligné par le récent rapport d’évaluation du GAFI - un argument que l’on peut toutefois nuancer dans la mesure où les autres pays candidats ont tous été plutôt bien notés par le GAFI. Enfin, la candidature française souligne l’attractivité de la ville de Paris, aussi bien dans son développement économique que dans son offre de transports, d’hôtels et d’infrastructures.
Mais ces trois arguments, on les connaissait déjà lors de l’annonce de la candidature de Paris. Ce qu’on découvre dans le formulaire en revanche, ce sont les lieux qui sont proposés comme pouvant accueillir l’AMLA, à commencer par la toute nouvelle tour Hekla, située dans le quartier de la Défense. Et à ce sujet, le document ne manque pas de détails : le dossier français propose 10.000 mètres carrés pour accueillir jusqu’à 400 agents de la future institution, ainsi que plusieurs centaines de places de parking, de multiples salles de réunion et un auditorium. Plus inattendu : l’Etat français propose de prendre à sa charge le loyer durant les neuf premières années d’activité de l’AMLA, pour un montant total d’environ 15 millions d’euros.
Outre la tour Helka, la candidature française propose aussi l’accueil de l’AMLA au sein d’autres bâtiments situés à La Défense ou à proximité de la Gare de Lyon.
Si les arguments en faveur de la proposition parisienne sont solides, rien ne permet à ce stade de distinguer véritablement la candidature française : les formulaires de candidatures des autres pays ont proposé des locaux d’envergure similaire, et certains États proposent même la prise en charge du loyer indéfiniment.
Des missions et des moyens qui restent à définir
On en sait donc un peu plus sur les caractéristiques des villes hôtes. Mais c’est à ce stade à peu près tout : c’est encore le grand flou s’agissant du périmètre de supervision, des moyens, des effectifs et des délais.
S’agissant du champ de compétence de l’AMLA, on sait depuis un moment que le projet, tel que présenté au Parlement Européen lors du vote sur l’AML Package, prévoit la supervision de plusieurs entités du secteur financier présentant « le plus haut niveau de risque de LCB-FT » selon les superviseurs nationaux. On en saura pas beaucoup plus : le projet indique que la première sélection d’établissements entrant dans la supervision de l’AMLA devrait être réalisée courant 2025, après un exercice d’harmonisation des évaluations nationales.
A priori, on devrait se diriger vers le contrôle d’une quarantaine d’établissements du secteur bancaire et assurantiel, dont deux ou trois entités françaises.
Au-delà de son rôle d’autorité de contrôle, le projet réglementaire prévoit que l’AMLA puisse également intervenir à l’égard du secteur non-financier afin d’améliorer les pratiques de supervision, coopérer avec les cellules de renseignement financier et promouvoir la convergence des pratiques des superviseurs locaux.
Pas grand-chose non plus à se mettre sous la dent côté staffing : Robert Ophèle parlait d’au moins 250 postes, une fourchette qui semble être confirmée par le formulaire de candidature, qui interroge sur une surface permettant l’accueil d’« entre 250 et 400 » agents. Rien ne dit cependant si ces chiffres ne correspondent pas plutôt à une cible de long terme, après plusieurs années d’activité.
Un début d’activité en 2027 ?
Reste le sujet du calendrier. Et là non plus, on n’a pas d’élément nouveau depuis le projet du Parlement, qui visait une création de l’AMLA en 2025, pour un début effectif d’activité l’année suivante. Un délai qui semble de plus en plus difficile à tenir : la première étape devait être la sélection de la ville hôte, selon un processus que le Parlement Européen et le Conseil Européen doivent encore définir. Passée cette décision, les instances européennes devront encore allouer les ressources nécessaires à la mise en place de l’Autorité. Par ailleurs, avec le renouvellement du Parlement Européen en juin 2024, les travaux risquent d’être interrompus au moins deux mois.
Selon nos informations, les principaux acteurs politiques tableraient d’ores et déjà pour un début de supervision retardé à 2027.
Reste une piste pour que le sujet avance : que la Commission Européenne commence à travailler activement sur la documentation technique encadrant l’AMLA, ses missions, ses ressources, afin que tout puisse s’enchaîner lorsque le Parlement aura joué son rôle.
En attendant, de nombreuses questions restent en suspens : l’AMLA réalisera-t-elle elle-même des contrôles sur place, ou mobilisera-t-elle des effectifs des autorités nationales ? Dans quelle mesure disposera-t-elle d’un pouvoir de sanction ? Comment sera constitué son board ? Il va encore falloir patienter.